Jeanne d’Arc a-t-elle été brûlée par l’Église ?

Première assertion : C’est l’Université qui a fait périr Jeanne.

Le docteur Richer écrivait déjà en 1628 :

« L’Université de Paris a rué la première pierre de scandale contre la Pucelle. »

Aujourd’hui que les documents sont mieux connus, on sait pourquoi et avec quelle fureur la Sorbonne « a rué ses pierres ». Voyons d’abord les mobiles qui l’ont fait agir, les causes de la haine féroce qu’elle avait vouée à l’innocente jeune fille. Depuis un quart de siècle que l’Angleterre avait mis la main sur les forces vives et les ressources de notre pays, c’était elle qui distribuait les évêchés, les canonicats, les grasses prébendes, les bénéfices et tous les postes lucratifs. Aussi l’Université s’était-elle tournée vers le monarque anglais qu’elle flattait avec une honteuse servilité. Elle avait condamné et déclaré déchu de ses droits le petit roi de Bourges, trop pauvre pour satisfaire l’ambition et la cupidité des professeurs. Elle avait mis sa doctrine et son autorité intellectuelle qui était considérable au service de l’Anglais. Elle était l’âme et la lumière du parti bourguignon, vendu à l’Anglais. Elle avait tourné en partie l’opinion publique vers l’Anglais. Son chef-d’œuvre avait été le traité de Troyes qu’elle avait préparé, inspiré, et dont sept de ses docteurs rédigèrent l’instrument. Henri de Lancastre, le vainqueur d’Azincourt, y était reconnu roi de France et Charles le Dauphin déchu de la royauté avec toute sa race : la France devenait une colonie anglaise.

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    Mais voici que Jeanne paraît. Elle déclare que le droit est du côté du Dauphin de France et que par conséquent Dieu est avec lui. Elle se dit envoyée du ciel pour le faire remonter sur le trône de ses aïeux et en chasser Henri Plantagenet. C’est le contre-pied de la thèse universitaire. Si Jeanne trouve du crédit, si elle appuie son affirmation par des victoires, l’Alma Mater est frappée au cœur, convaincue de traîtrise et d’imposture, et elle voit s’écrouler tout l’échafaudage de ses misérables arguments. Et voici qu’en effet, la Pucelle triomphe. Chacun de ses succès à Orléans, à Patay, à Troyes, est pour l’orgueilleuse Université une blessure qu’elle ne pardonnera pas. Les docteurs représentent le parti anglais. Jeanne incarne le patriotisme. Elle ruine leur prestige. Chacun de ses coups d’épée déchire une de leurs thèses. Le sacre de Reims détruit le traité de Troyes qui est leur œuvre. Voilà la véritable raison pour laquelle ces malheureux lui ont voué une haine à mort. L’homme qui a eu la part la plus considérable dans le crime de Rouen, c’est Cauchon. Or, Cauchon était un des plus illustres nourrissons de l’Université de Paris et aux raisons qu’avaient ses collègues de haïr la Pucelle, s’en ajoutaient pour lui quelques-unes qui lui étaient spéciales. Élève, puis docteur en 1403, ensuite recteur de l’Université de Paris, il a été cabochien en 1412 et 1413.

    L’Université de Paris et l’Angleterre veulent la mort de Jeanne

    Proscrit comme traître, malfaiteur et homicide par les Armagnacs, il s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, Jean sans Peur. Il rentre à Paris avec son parti. Il est l’un des sinistres instigateurs
    du traité de Troyes (1420). En récompense de ses services, il est nommé par l’Angleterre et l’Université à l’évêché de Beauvais, le 4 septembre 1420. Mais voici que Jeanne d’Arc retourne la fortune contre les Anglais. Cauchon en est ému, irrité, comme tous ses confrères de l’Université : mais bientôt sa haine s’envenime d’un grief tout à fait personnel. Beauvais se déclare pour le roi de France et en 1429 chasse son indigne évêque. C’est la conséquence des succès de Jeanne : aussi Cauchon lui attribuera sa disgrâce et s’en vengera. paysanne, Pierrone ou Périnaïk de Bretagne, qui, après avoir fidèlement servi Jeanne d’Arc, a eu le malheur de tomber entre les mains des docteurs parisiens. Elle a l’audace de déclarer que la Pucelle est envoyée de Dieu. Elle est pour ce crime brûlée vive à Paris, le 3 septembre 1430, comme complice de sa maîtresse. Honneur à la pauvre petite Bretonne, trop ignorée de nos jours, à la douce admiratrice de Jeanne qui la précéda dans le témoignage du sang versé pour la vérité et pour la patrie ! Mais si l’Université s’acharne ainsi sur une fille qui n’est que l’ombre de la Pucelle, que ne fera-t-elle pas quand elle tiendra sa proie elle-même entre ses mains ? Jeanne tombe le 24 mai, à Compiègne, au pouvoir de Jean de Luxembourg, lieutenant général du duc de Bourgogne, allié des Anglais. La nouvelle en arrive à Paris le 25 mai.

    Aussitôt, l’Université organise des réjouissances publiques.  Le lendemain, elle écrit une lettre au duc de Bourgogne pour le prier de faire remettre Jeanne aux Anglais. Elle charge Cauchon, un de ses anciens recteurs, actuellement évêque de Beauvais, d’en remettre une autre à Jean de Luxembourg pour réclamer la captive :

    « Envoyez-la ici, à l’Inquisition », dit-elle.

    Elle s’impatiente des retards de Luxembourg. Elle le harcèle. Enfin celui-ci finit par céder et par vendre sa prisonnière aux Anglais en novembre 1430. L’Université n’est pas satisfaite. Elle veut tenir Jeanne entre ses griffes. Elle écrit le 21 novembre à Cauchon d’avoir à conduire Jeanne à Paris. Elle écrit dans la même sens au roi d’Angleterre. Elle échoue dans cette demande. Mais elle n’abandonne pas sa victime : elle va la suivre à Rouen. En effet, dès que le procès s’ouvre, elle envoie à Rouen six de ses docteurs les plus qualifiés pour soutenir et au besoin exciter le zèle de l’évêque de Beauvais et forcer les Anglais à condamner l’innocente. Trois d’entre eux ont même été, comme Cauchon, recteurs de l’Université. Ils sont l’âme du drame hideux. Ils stimulent les Anglais contre l’accusée : ils veillent à ce qu’elle n’échappe pas à leur vengeance. Cela est si vrai que Cauchon et les Anglais s’abritent constamment, quand ils prennent une décision, derrière l’autorité de l’Alma Mater.

    Ces docteurs délégués de l’Université sont, avec l’évêque de Beauvais et les Anglais, les vrais coupables du supplice de l’héroïne. Il importe de les faire connaître. Thomas Courcelles a été recteur de la Sorbonne du 10 octobre au 16 décembre 1430. Il avait pressé Luxembourg de livrer Jeanne aux Anglais. À Rouen, il fut un de ses ennemis les plus haineux. Lorsque le tribunal débattit la question de savoir si elle serait soumise à la torture, il n’y eut que trois monstres de cet avis et Courcelles fut l’un d’eux. Guillaume Érard, encore un recteur de l’Université. Il l’avait été une première fois en 1421, puis avait été renommé quatre ou cinq fois dans la suite. Vendu corps et âme aux Anglais, dans la fameuse séance du cimetière de Rouen, le 24 mai, six jours avant la mort de Jeanne, il osa dans une harangue aussi hypocrite qu’impudente, la traiter d’hérétique, de schismatique, de sorcière et de monstre. Jean Beaupère, lui aussi, a été recteur de l’Université de Paris en 1412 ; lui aussi a été un des auteurs-rédacteurs du traité de Troyes ; lui aussi est l’ami dévoué des Anglais contre la France.

    Nicolas Midi. À Rouen ce fut lui qui fut chargé d’amener Jeanne par des exhortations appelées caritatives, à s’avouer coupable. Malgré son éloquence papelarde, il n’y réussit pas : mais ce fut lui qui dans une dernière caritative jeta la dernière insulte à l’angélique enfant, au moment où elle allait mourir. Nicolas Loiseleur, docteur de l’Université, anglophile ardent, se montra particulièrement odieux envers Jeanne. Il mourut bientôt après, subitement. Jean d’Estivet, chanoine de Beauvais, promoteur de la cause de Jeanne ; être violent et grossier, il empêche Jeanne de communier et même d’entrer dans la chapelle de la prison. Il mourut dans un égout, à sa place. Malgré l’activité de ses délégués, le procès traîne en longueur au gré de l’Université. Elle veut en précipiter l’issue. Une occasion se présente. Le concile de Bâle devant s’ouvrir le 3 mars, la Sorbonne nomme cinq délégués chargés de l’y représenter. Mais malgré leur désir d’assister à l’ouverture de la solennelle Assemblée, ils décident de se rendre d’abord à Rouen pour secouer la torpeur des juges. Ils y sont le 3 mars. Pendant une semaine ils délibèrent avec leur six collègues sur les réponses de l’accusée. Ces réponses sont si orthodoxes, si sages, si lumineuses qu’ils craignent qu’elle ne soit acquittée. Ils jugent qu’il y a péril à la laisser comparaître devant les cinquante juges qui ont jusque-là assisté aux séances. Et ils finissent par obtenir qu’elle ne soit plus interrogée que devant sept ou huit témoins triés sur le volet.

    En même temps, ils rédigent douze articles, résumé perfide des prétendus aveux de Jeanne. Ils rapportent ce factum à Paris et le soumettent à la docte Corporation qui qualifie les réponses de la prisonnière, c’est-à-dire stigmatise chacune d’elles, d’un jugement atroce, où Jeanne est traitée de fourbe, de traîtresse, de sorcière, d’hérétique, de monstre altéré de sang. Les cinq délégués reviennent à Rouen porteurs de ces qualifications : ils emportent aussi deux lettres, l’une pour le roi anglais, l’autre pour Cauchon, où ils adjurent ces deux personnages de hâter la sentence de mort. Ces diverses pièces et les démarches pressantes des docteurs de Paris levèrent tous les scrupules des juges et décidèrent la condamnation. Il ressort de tous ces faits que ce sont les docteurs de l’Université de Paris qui, pour servir les passions politiques et la vengeance de l’Angleterre, ont fait mourir Jeanne d’Arc.