LE SIÈCLE CHRÉTIEN (1245/1249) – La croisade de Saint Louis – Damiette

Louis IX en route vers Jérusalem

Bonjour, la dernière partie de la décennie 1240 fut consacrée à la préparation de la septième croisade en Terre sainte, la première expédition pour Louis IX. Pour que cette croisade rencontre le succès escompté, il fallut rassembler toutes les puissances chrétiennes d’Europe mais la discorde entre le pape Innocent IV et l’empereur du Saint-Empire romain germanique était toujours vive. Il fallait un souverain animé d’un profond désir de paix entre les hommes pour espérer calmer les ardeurs respectives. Mais avant de vous raconter cette histoire, notre histoire, je veux vous dire que vous pouvez soutenir mon travail sur l’histoire de France en commandant un livre de ma maison d’édition ou en faisant simplement un don, pour en savoir plus, cliquez sur les liens en description de cette vidéo. Merci.

Le Concile de 1245

A la fin de l’année 1244, le pape Innocent IV avait convoqué un concile à Lyon pour évoquer un certain nombre de sujets épineux, comme l’attitude intolérable de l’empereur Frédéric II. Le XIIIe concile œcuménique, qui débuta le 28 juin 1245 au couvent de Saint-Just à Lyon,  déposa l’empereur Frédéric II de son trône et de tous ses royaumes en juillet et invitait les princes allemands à élire un nouvel empereur et à nommer un nouveau roi de Sicile. Frédéric II demanda l’arbitrage de Louis IX. Le roi de France voulut immédiatement rencontrer le pape qui se trouvait alors à Cluny. Son ambition était simple et claire : réconcilier les deux têtes de la chrétienté, mais le pape refusait toute conciliation avec l’empereur factieux. Le concile était également l’occasion d’évoquer une autre menace prenant ses origines en des terres reculées d’Europe : les Mongols. Depuis le début du siècle, aux confins de l’Asie, la menace mongole effrayait le monde chrétien. Le plus célèbre, Gengis Khan, s’approchait à une vitesse fulgurante des royaumes chrétiens. Pour calmer les ardeurs mongoles, lors du concile, le pape Innocent IV envoya, par l’intermédiaire de deux dominicains et d’un franciscain, plusieurs bulles les invitant à se convertir au christianisme, à cesser les meurtres de chrétiens et à initier une paix entre eux et chrétiens. Il ne reçut, en guise de réponse, qu’une invitation à se soumettre et à rendre hommage au khan mongol. Paniquée par ces nouvelles peu réjouissantes, Blanche de Castille, la mère du roi, s’en remit à son fils. Une seconde mission sera menée par le pape sans plus de succès. Le sujet de la plus haute importance évoqué par le pape lors du concile fut la Septième croisade vers l’Égypte. Louis IX avait l’esprit libre, son royaume était en paix, il pouvait se consacrer pleinement à la libération des Lieux saints pris sous le joug musulman. A la Noël 1245, le roi usa d’un stratagème pour emporter l’adhésion générale. Il fit coudre une croix sur le manteau offert à chacun de ses chevaliers ; par cette initiative, il espérait ainsi les affermir dans leur motivation à prononcer leur vœu de croisade. La présence de tous ces barons et chevaliers en Terre sainte était nécessaire à la réussite de l’expédition. Ils accèptèrent volontiers de se porter au secours de la Terre sainte. 

La croisade se prépare

Maintenant que les plus hautes autorités de la chrétienté s’étaient mises d’accord sur la marche à suivre, Louis IX entreprit l’immense chantier qu’impliquait l’organisation d’une croisade. Les propres frères du roi furent, comme les autres chevaliers de la Cour, partie prenante. Au début de l’année 1246, le 31 janvier, son plus jeune frère, Charles d’Anjou, se maria avec la sœur de la reine de France, Béatrice de Provence. Par ce mariage, Charles devint comte de Provence, titre ô combien important pour ce chevalier ambitieux. En parallèle de l’organisation de la croisade, Louis IX tenta d’obtenir une réconciliation entre le pape et l’empereur, il entreprit une nouvelle médiation entre les deux souverains… en vain. Pour mener à bien la croisade, il fallait au roi de France une ouverture sur la Méditerranée ; cela aurait pu être Narbonne, Marseille ou encore Montpellier, mais Louis IX n’était pas souverain sur ces terres. Il voulait posséder son propre port. L’ouvrage, important et décisif, sera érigé là-bas aux confins du delta du Rhône, à Aigues-Mortes. Après avoir négocié avec les moines, seuls habitants de cette contrée marécageuse, le roi entreprit les travaux du port d’où il allait partir à deux reprises. Louis IX avait maintenant un port d’où lancer sa croisade et des hommes pour la mener, il ne lui manquait que les moyens matériels pour affronter ses adversaires d’Orient. Comme le royaume de France ne disposait pas de navires pour ce genre d’expédition, Louis IX dut solliciter des constructeurs génois et vénitiens aux savoir-faire indéniables. Pour assumer les dépenses inhérentes à la croisade, il mit les villes à contribution ; des prêts et des dons furent demandés aux bourgeois, puis L’Église, de son côté, leva la décime sur le clergé français ainsi que dans les provinces voisines pour financer une partie de la croisade. En plus d’un caractère militaire, la préparation d’une croisade revêtait aussi et peut-être même surtout dans l’esprit de Louis IX une dimension spirituelle. Des campagnes de prières et des sermons étaient prononcés aux quatre coins du royaume pendant toute la préparation du voyage. Il mit également en place des enquêtes destinées à dresser une liste des injustices commises par ses agents en son nom. Avant de quitter sa belle France pour voler au secours de ses frères chrétiens, voulant préparer son peuple à sa longue absence et peut-être même à sa mort, il tenait à réparer les fautes qu’il avait pu commettre envers eux, mais également celles commises par ses baillis et par ses aïeux. Son âme devait être en règle auprès du Christ, véritable roi de France. En janvier 1247, il envoya des frères mendiants dans les diocèses de Meaux, de Troyes, d’Auxerre et de Nevers pour enquêter sur les griefs de ses sujets. La dimension dévotionnelle indéniable de l’initiative préfigurait d’une justice qui allait passer d’une dimension locale à une dimension royale. Louis IX, avant de prendre le large, demanda au pape de nommer un légat pour diriger la croisade. Le vicaire du Christ répondit à sa demande en nommant à ce poste lourd de responsabilités, car celui-ci devait représenter le souverain pontife en Terre sainte, Eudes de Châteauroux, ancien chanoine de Notre-Dame de Paris.

Le grand départ

Le 12 juin 1248, jour de Pentecôte, Louis IX se rendit à Saint-Denis prendre l’oriflamme, l’écharpe et le bâton de pèlerin de la main du cardinal légat Eudes de Châteauroux. Peu de temps avant de partir, le 26 avril 1248, il prit soin de consacrer la Sainte Chapelle de Paris où reposaient les si précieuses et saintes reliques de la Passion du Christ. L’heure était maintenant arrivée, après des années de préparation, il allait enfin pouvoir fouler la terre sacrée où le Christ fut crucifié. À partir de cet instant, mesurant l’importance de son entreprise, son comportement changea ; fini les tenues d’apparat, le moment de la modestie était venu. Roi depuis vingt-deux ans, arrivé à la moitié de son règne, Louis prit un chemin qui allait le mener à la sanctification. Le long périple commençait. Il se mit immédiatement en route vers Corbeil pour faire ses adieux à sa chère et tendre mère, Blanche, à qui il confia le royaume en son absence. Après l’avoir consolée avec tendresse, il reprit son chemin et fit une halte à Sens, puis continua sa chevauchée vers Lyon pour s’entretenir avec le pape afin de soutenir à nouveau la plainte de l’empereur Frédéric II. Sa tentative de conciliation fut sans grande conséquence. Avant de prendre la route, il demanda au pape de veiller sur sa tendre France. Le 25 août 1248, accompagné de toute sa famille hormis sa mère et ses jeunes enfants, il embarqua en direction de l’Égypte. À bord des trente-huit grands vaisseaux et des centaines d’embarcations plus modestes, quelque 2500 chevaliers, 10 000 fantassins, 5000 arbalétriers et 8000 chevaux prirent le large. En l’absence de vent, le départ définitif eut lieu le 28 août 1248 depuis le port d’Aigues-Mortes. Le 17 septembre 1248, les croisés, avant de débarquer sur les terres d’Afrique, jetèrent l’ancre à Chypre, ils débarquèrent dans le port de Limassol. L’armée croisée hiverna jusqu’au 30 mai 1249. Prendre la mer en hiver était beaucoup trop risqué. Pendant son hivernage chypriote, Louis IX reçut la visite de deux chrétiens originaires de Mossoul en charge d’un message de la part du grand Khan. Craignaient-ils une confrontation armée avec les croisés ? Le chef mongol voulait proposer au roi très chrétien une alliance contre les musulmans ; Louis accueillit la nouvelle avec joie si bien qu’il chargea André de Longjumeau de se rendre auprès du Khan afin de lui remettre une belle tente-chapelle décorée de scènes de la vie du Christ. Son esprit trop occupé à la poursuite de la croisade ne lui permit pas d’attendre la réponse mongole. Où les croisés devaient-ils débarquer ? Louis IX dut prendre en considération les fortes rivalités entre princes musulmans.

Louis IX vainqueur à Damiette

Avant de voguer vers la terre d’Égypte, Louis IX invita le sultan à se faire chrétien et à se soumettre, mais plutôt que d’accepter les conditions du roi de France, prévenu préalablement par Frédéric II, il eut le temps de se préparer à la confrontation. Le 13 mai 1249, les premières flottes croisées mettaient les voiles vers l’Égypte. Où jeter l’ancre ? Alexandrie ? Damiette ? La première offrait plus de facilité pour marcher vers Le Caire, mais sa nature hostile ne plaidait pas en sa faveur. Les croisés virent les côtes de Damiette le 4 juin 1249. La nuit précédant le débarquement sur Damiette se passa en prière. Au petit jour, le soleil naissant éclairait la flotte chrétienne impatiente de combattre. Louis IX choisit ce moment crucial pour haranguer ses chevaliers à bord de son vaisseau :

Mes fidèles amis, s’écrie-t-il, nous sommes invincibles si nous sommes inséparables dans notre charité. Ce n’est pas sans une permission divine que nous nous sommes transportés ici pour aborder dans un pays aussi puissamment occupé. Je ne suis point la France, je ne suis point la sainte Église : c’est vous qui êtes l’une et l’autre. Je ne suis qu’un homme dont la vie s’éteindra comme celle d’un autre quand Dieu voudra. Tout est pour nous, quelque chose qui nous arrive : si nous sommes vaincus, nous sommes martyrs ; si nous triomphons, la gloire du Seigneur en sera célébrée : celle de la France et même de la chrétienté en sera augmentée. Certes, il serait insensé de croire que Dieu m’a suscité en vain, lui qui prévoit tout. C’est ici sa cause, nous vaincrons par le Christ, et il triomphera en nous. Il donnera la gloire, l’honneur et la bénédiction non pas à nous, mais à son nom.

À la tête de ses troupes, s’exposant sans peur aux mêmes périls que ses chevaliers, le roi entendit clamer sur un des vaisseaux :

« Que Dieu nous aide ! que Dieu nous aide, nous voici devant Damiette ! »

En dépit du danger de mort qui les attendait, il recommandait à ses chevaliers de ne pas toucher aux femmes et aux enfants des Sarrasins, mais de les amener pour les faire baptiser puis, autant qu’ils le pouvaient, de préférer emprisonner les hommes plutôt que de les tuer. Son vœu pieu n’empêchait hélas pas la mort de rôder. Le lendemain, les frêles embarcations approchèrent du rivage, Louis IX trépignait d’impatience, emporté par sa fougue, il sauta lui-même à la mer, l’épée haute et la peur basse. Pour affronter l’armée croisée le long du rivage, le sultan avait détaché son meilleur général. Les croisés repoussèrent les premiers assauts sans trop de difficultés. La déroute musulmane n’allait pas tarder, les échecs cuisants des Sarrasins les firent se replier sur Damiette et plutôt que d’entrer dans la ville, pris de panique, beaucoup d’entre eux prirent la fuite. Quelques guerriers musulmans évacuèrent la cité et mirent le feu à la ville pour empêcher les croisés de s’emparer des richesses. Le 6 juin 1249, Louis IX était maître de Damiette. En roi chrétien mais néanmoins stratège, il ne poursuivit pas les troupes en retraite préférant attendre les renforts rassemblés par son frère Alphonse de Poitiers qui arrivèrent en décembre 1249, l’armée put alors se diriger vers le sud mais sur le chemin se dressait la forteresse de la Mansourah protégeant l’entrée du Caire. 

La croisade en Terre sainte débuta sous les meilleures auspices pour Louis IX. Après seulement quelques escarmouches, les croisés sont devenus maîtres de Damiette. Mais la croisade ne faisait que commencer, il fallait faire désormais route vers Jérusalem. Louis IX et ses chevaliers n’étaient pas au bout de leur peine et les difficultés ne faisaient que commencer. Mais qu’importe, pour Louis IX et les siens, la Providence veille. Mais ça, ce sera pour le prochain épisode. A bientôt.