Sainte Radegonde – reine des Francs

Texte extrait du livre : Les saintes patronnes de France

« Les vertus de Radegonde la firent réputer grande parmi les peuples ». (Grég. de Tours.)

Mgr Baunard paraphrasant quatorze cents ans plus tard ce jugement porté au VIe siècle par l’illustre historien de l’époque mérovingienne écrit :

« Parmi les saintes reines nulle plus que Radegonde ne mérite le nom de sainte, nulle aussi ne mérite davantage le nom de reine. »

Vitrail de la reine mérovingienne Radegonde

L’auréole de sainteté que sainte Clotilde, première reine de la France chrétienne, avait portée avec tant de majesté, se trouve en effet rehaussée chez l’épouse de Clotaire Ier par l’éclat incomparable de miracles sans nombre. L’existence de Radegonde, comme celle de Clotilde d’ailleurs, se déroule au milieu de drames sanglants. Les meurtres, les persécutions, les brutalités de rois à peine sortis de la barbarie entourent sa petite enfance, sa jeunesse et même son âge mûr. Mais la belle-fille de sainte Clotilde
trouve dans une foi confinant à l’héroïsme, dans l’exercice d’une charité que rien ne rebute, les forces vives qui la font triompher de toutes les embûches que l’esprit du mal dresse devant ses pas.

« Tous ceux qui l’approchent l’entourent d’une tendresse et d’un respect mêlés de vénération »,
disent ses biographes.

Sainte Radegonde : une grande reine mérovingienne

Piété, douceur et mansuétude sont donc les vertus dominantes de celle dont la mémoire reste si vivace au coeur des populations poitevines. C’est en Thuringe qu’il faut placer le berceau de Radegonde. Si l’on cherche le nom de ce pays sur une carte de l’Europe contemporaine on ne le trouvera pas, son existence n’ayant duré qu’une centaine d’années entre le Ve et le VIe siècle. Mais on peut le situer entre l’Elbe et le Danube, dans ces régions de la Bohême qui font partie de la Tchécoslovaquie actuelle. Vers l’an 520, le roi de Thuringe Basin meurt, et suivant la coutume germanique, son royaume, considéré comme domaine de famille, se trouve partagé entre ses trois fils : Hermanfroy, Badéric et Berthaire.

La cupidité jointe à l’ambition arment promptement les trois frères les uns contre les autres. Hermanfroy, l’aîné, dominé par une femme artificieuse et cruelle, Amalaberge, est le premier à prendre l’offensive.
Il attaque son frère Berthaire, le fait assassiner ainsi que sa femme, s’empare de ses états et emmène ses deux enfants : un fils dont le nom est resté inconnu et Radegonde alors âgée de dix ans, qu’il fait élever avec ses propres enfants. Cependant l’ambition d’Amalaberge n’est pas satisfaite après ce premier meurtre. Son beau-frère, Badéric, détient indûment selon elle une portion du royaume paternel. Hermanfroy étant le fils aîné doit être souverain unique de Thuringe et pour atteindre ce but, un simple assassinat est suffisant.

Reine des Francs, Radegonde

Or, comme le roi se montre rebelle à ce nouveau crime, la reine, que rien ne rebute, use d’un stratagème. Un jour qu’Hermanfroy s’apprête à dîner, il constate que le couvert n’est mis que sur une moitié seulement de la table royale.

« Qu’est-ce cela ? dit-il avec humeur. Pourquoi cette incorrection dans le service ? »

La reine se redresse hautaine et répond avec un accent de mépris :

« Celui auquel suffit la moitié d’un royaume, doit se contenter de la moitié d’une table pour lui et ses convives. »

Hermanfroy a compris. Avant que le jour n’ait décliné trois fois, il conclut une alliance avec Thierry, fils aîné de Clovis, et lui promet la moitié du royaume de Badéric si leurs armées réunies obtiennent la victoire. Thierry consent au pacte d’alliance, Badéric est massacré, ses troupes mises en déroute, ses états envahis ; mais quand vient l’heure du partage, Hermanfroy déclare que le royaume de Thuringe, réuni maintenant dans une seule main, ne peut être démembré et que les engagements pris ne seront pas tenus. Grande est la colère de Thierry devant cette félonie et comme il voit que menaces et objurgations restent impuissantes devant l’obstination d’Hermanfroy, il prend la résolution de se venger. Appelant à son secours son frère Clotaire, roi de Neustrie, il marche contre le roi de Thuringe, taille en pièces son armée, envahit son royaume, s’empare d’un riche butin ainsi que d’un grand nombre de prisonniers. La petite princesse Radegonde et son frère se trouvent au nombre de ces derniers. Quand le roi Clotaire avait promis à son frère l’appui de ses armes, il avait stipulé qu’une part des dépouilles serait sa seule récompense. Fort de cet engagement, lorsqu’on en vient au partage des prisonniers, il demande que Radegonde et son frère soient compris dans sa part. Thierry, subjugué par la beauté et la grâce de la petite princesse, élève de véhémentes protestations. Radegonde appartiendra à celui que le sort désignera. Les deux frères confient leur cause au hasard, et c’est à Clotaire que la fille de Berthaire échoit en partage.

« Alors, comme les filles d’Israël conduites en captivité à Babylone, dit Fortunatus, son biographe, elle prend toute jeune le chemin de l’exil »

sous la conduite du farouche roi de Neustrie. Elle n’a que douze ans ! Mais telle est sa douceur, son charme et sa beauté, que Clotaire prend dès cette minute même la résolution de poser un jour sur sa tête la couronne royale. Poursuivi par cette idée, le roi met tout en œuvre pour que sa prisonnière soit élevée en future reine. Il la fait conduire à Athies près de Péronne dans le domaine royal des rois francs. Là, il demande à saint Médard de la baptiser dans la religion chrétienne et l’entoure de professeurs qui durant plusieurs années vont l’instruire de toutes les connaissances humaines susceptibles d’orner l’esprit d’une femme d’élite.

Texte extrait du livre : Les saintes patronnes de France

Mais, dès que l’eau sainte a coulé sur son front, la grâce du Saint-Esprit a pris possession de l’âme de Radegonde. Les Évangiles et les écritures saintes ont pour elle un attrait profond, dit Fortunatus. Dans toutes les circonstances de la vie, elle s’étudie à reproduire les vertus de piété, de douceur, d’obéissance de Jésus-Enfant. Après avoir vécu avec le Divin Sauveur dans les livres saints, elle va le retrouver à l’église, reste de longs instants en prière, parlant au Maître avec cette familiarité des âmes simples. Son occupation la plus chère est de s’entourer d’enfants pauvres ; Jésus n’a-t-il pas dit :

« Celui qui reçoit en mon nom un de ces petits, c’est moi-même qu’il reçoit ! »

Les hagiographes peignent d’une façon charmante ces agapes charitables de la petite princesse.

« Elle donnait l’ordre qu’on amenât au château royal les plus pauvres des petits mendiants. Les faisant asseoir sur des bancs, elle lavait leurs visages malpropres, peignait leurs cheveux broussailleux, habillait les plus pauvres de vêtements confectionnés par ses suivantes ; puis quand ils étaient propres, elle leur servait elle-même un bon repas bien réconfortant. Lorsque tous les appétits étaient rassasiés, Radegonde organisait des jeux variés ! Puis la classe commençait. C’était soit une leçon de lecture, soit une leçon d’histoire sainte ou de catéchisme. Quand elle jugeait que le travail avait assez duré, elle disait gaiement : Il nous faut aller prier le Bon Dieu avant de nous séparer. »

Elle cueillait alors quelques fleurs, les distribuait à ses amis les mendiants et prenant la tête de son petit troupeau se rendait processionnellement à la chapelle. De nouvelles prières étaient récitées en commun dans le saint lieu, puis Radegonde quittait la chapelle et congédiait ses petits amis en leur donnant rendez-vous pour les jours suivants. Et ainsi les années passent. Radegonde a dix-huit ans. Merveilleusement belle, disent ses historiens, elle n’a rien de la légèreté et de l’inconstance de la femme. Dédaigneuse des apprêts qui servent à rehausser la beauté, rien n’est composé dans son visage, rien dans ses paroles ne respire la vanité. Clotaire est de plus en plus séduit par la grâce suprême de sa prisonnière. Le désir qu’il avait eu d’en faire sa femme au moment du partage du butin n’a fait que s’accroître, si bien que sa troisième femme, Chunsona, étant morte, il fait dire à Radegonde de se transporter sans retard à la ville royale de Vitry en Artois où elle deviendra reine des Francs. À l’annonce de ce message, la jeune princesse est prise d’une grande frayeur. L’idée de recevoir l’anneau royal des mains de ce barbare, qui, par trois fois déjà, a contracté mariage, la remplit d’épouvante. Les quatre fils du roi : Gontran, Caribert, Sigebert et Chilpéric sont plus âgés qu’elle. Que va être sa vie auprès de ce maître brutal ? Ne se sentant pas la force d’accepter cette épreuve, la princesse se sauve en pleine nuit, espérant trouver une retraite où son persécuteur ne pourra l’atteindre ; cet espoir est malheureusement chimérique. À peine a-t-elle quitté Athies que Clotaire la fait amener de force à Soissons où les noces se font avec une grande solennité. Toutes les richesses, toutes les somptuosités du trésor royal sont mises par le roi aux pieds de sa jeune épouse. Mais l’âme pure et noble de Radegonde ne se laisse pas éblouir par ces splendeurs auxquelles elle est habituée. Elle sait que celui à qui elle a juré obéissance devant Dieu est un être cruel et débauché. N’importe ; esclave de l’engagement pris, elle se conduira vis-à-vis de lui en épouse soumise.