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Publié le
12/10/2023

Saint Dominique : prédicateur face aux hérétiques cathares

Texte extrait du livre : le péril cathare

Arrêtons-nous un instant sur ce fameux Dominique de Guzman qui aura sa part, ô combien importante, dans la lutte contre l’hérésie cathare. Il sera celui qui apportera la douceur et la bonté d’un homme de Dieu à une population égarée et bousculée par les bouleversements spirituels du temps. Dominique est né en 1170 à Caleruega, petit village de la Vieille-Castille de la péninsule ibérique. Son environnement familial laissait présager une vie héroïque et exemplaire. Sa mère, Jeanne d’Aza, issue d’une famille de la plus haute noblesse, brillait par ses vertus. Les mémorialistes du XIIIe siècle qualifieront les parents de Dominique « d’honorables et de pieux parents » ; et ce furent les vertus maternelles, surtout, qui retinrent leur attention. L’un d’eux dira de Jeanne d’Aza qu’elle fut « chaste, sage, pleine de compassion envers les malheureux et les affligés ». Sans nul doute, pouvons-nous y déceler les futurs traits de Dominique. Une odeur de sainteté régnait donc sur cette famille. Très tôt, sa mère envisagea une carrière de clerc pour son fils, même si sa lignée le prédestinait plutôt à une carrière dans les armes ou dans la politique ; pour Jeanne, la plus grande des noblesses était celle de servir dignement la gloire de Dieu. Arrivé à l’âge de sept ans, il est confié à son oncle, un archiprêtre, qui aura la charge de former ce futur clerc.

Quelques années plus tard, alors âgé de quatorze ans, Dominique intégra une grande école réputée de Palencia où il put parfaire ses connaissances. Les disciplines enseignées étaient la grammaire, la dialectique et la rhétorique puis, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. Mais Dominique ne déployait pas la même vigueur pour chaque matière. La grammaire, la rhétorique et la dialectique avaient sa préférence puisque, pour être bien compris des fidèles, ne fallait-il pas bien écrire, raisonner ?Et, bien sûr, la théologie, discipline qu’il affectionnait tant. Pendant quatre ans, il se nourrissait de la lecture des Saintes Écritures. Le jeune homme n’était pas comme les autres ; ses journées se composaient d’étude, évidemment, mais aussi de nombreuses prières quand ses camarades s’adonnaient aux plaisirs du monde. Dominique savait se montrer bon élève, studieux et exigeant, mais il savait aussi faire montre d’une charité exemplaire, puisée dans son éducation. La Castille connut une période de famine due aux intempéries désastreuses. Dominique, pris de pitié pour les miséreux affamés que la calamité avait engendrés, vendit tous ses biens puis tous ses livres, même les plus sacrés d’entre eux, pour apaiser la misère ambiante. Quelle ne fut pas la surprise de ses compagnons d’école ! Troublés par cette édifiante charité, les voilà qui se mirent à l’imiter. Il appliquait, ni plus ni moins, que les préceptes évangéliques :

« Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres ».

Le saint Évangile

Le péril cathare

5,50 18,00 

Depuis la mort et la Résurrection de Jésus-Christ, l’Eglise catholique, menée par son pape et aidée par ses plus fervents et plus zélés prédicateurs, n’a eu de cesse de combattre les hérésies aux quatre coins de la chrétienté. Les hérétiques, plutôt que de fragiliser l’Église catholique romaine, ne feront que la renforcer à leur dépens.

18,00 
5,50 

La fin du XIIe siècle fut marquée, dans la péninsule ibérique, par les affrontements réguliers entre musulmans, qui possédaient la partie sud de la péninsule, et les catholiques, qui détenaient la partie nord. Alphonse VIII de Castille, n’ayant pas réussi à s’entendre avec les autres souverains catholiques, dut se résoudre à engager le combat seul contre les Mahométans. Nous sommes en 1195, à Alarcos, et la défaite est cuisante. La désolation régnait dans la population. Une femme, effondrée, vint trouver Dominique et lui fit part de la tristesse qui l’accablait ; son frère avait été fait prisonnier par les Sarrasins. Dominique n’hésita pas une seule seconde, il se proposa comme esclave en échange de cet homme retenu prisonnier. L’échange n’eut jamais lieu mais son abnégation incroyable fit le tour de la Castille au point qu’un certain Diègue d’Acébès l’invita à venir le rejoindre dans son évêché d’Osma dont dépendait la paroisse de Caleruega. Dominique avait vingt-cinq ans. L’atmosphère du lieu et de la ville, tournés entièrement vers Dieu, l’inspirait beaucoup. La communauté religieuse dans laquelle le prieur Diegue d’Osma l’invitait à prier était un regroupement de chanoines réguliers de Saint-Augustin. Une vie de contemplation seule ne le remplissait pas suffisamment. Il voulait, en plus de la prière, aller à la rencontre de la population, pour convertir les incroyants. Il préféra la vie de chanoine à celle de moine. Voilà quel sera son apostolat : la prédication par l’exemple et la parole. En 1201, Diègue d’Acébès, celui qui avait vu en Dominique un homme aux vertus exceptionnelles, devint évêque d’Osma. Comme tout haut dignitaire ecclésiastique, il exerça un rôle de conseiller officiel à la cour d’Alphonse VIII de Castille. Une trop banale affaire matrimoniale, donc politique, poussa le roi de Castille à envoyer une ambassade au Danemark.

Une épouse de sang royal devait être trouvée à l’infant de Castille, Ferdinand, âgé de treize ans, et la nièce du roi du Danemark semblait parfaite. La mission diplomatique fut confiée à nos deux religieux qui s’engagèrent, à la mi-octobre 1203, sur les routes de l’Europe chrétienne. Une halte à Toulouse, lors de son premier voyage, fit entrer Dominique en relation avec le catharisme dont il ignorait tout. L’hôte, qui le reçut à sa table, se mit à discuter sans retenue avec le chanoine d’Osma. Dominique, ne pouvant cacher son étonnement, écoutait attentivement les hérésies notoires de cet homme. Oubliant la fatigue, le prédicateur d’Osma se mit à contre-argumenter avec science et détermination sur la base de la doctrine chrétienne. La nuit était presque passée. Au réveil, les convictions de l’homme avaient été renversées au point qu’il dut se résoudre à rejoindre l’orthodoxie. Le talent de prédicateur de Dominique avait opéré pour la première fois mais sa joie d’avoir ramené un homme à Dieu fut de courte durée. Il fut pris d’une grande tristesse à l’idée d’imaginer tant de brebis égarées dans cette grande région du Languedoc.

Trois ans s’écoulèrent pendant lesquels nos deux religieux effectuèrent de multiples voyages vers le Danemark pour motifs diplomatiques. En 1206, le roi du Danemark, Valdemar, les envoya à Rome plaider sa cause. Une fois la mission achevée, plutôt que de faire route directement vers leur belle Espagne, ils décidèrent de faire une courte étape à l’abbaye de Cîteaux en Bourgogne, puis empruntèrent la vallée du Rhône, longèrent la Méditerranée pour se retrouver face aux imposants remparts de Montpellier à l’été 1206. La ville était une oasis catholique entourée de comtés et de seigneuries souillés par l’hérésie. L’heure était grave, une stratégie de reconversion des âmes devait être pensée, et c’est précisément ce qui fut mis en place lorsque nos deux voyageurs espagnols arrivèrent à Montpellier. Un concile, regroupant maître Raoul, Pierre de Castelnau, Arnaud Amalric, l’archevêque Béranger de Narbonne, de triste réputation, et les évêques de la province, fut réuni au cœur de la ville catholique. Diègue d’Osma et Saint Dominique se greffèrent discrètement à l’assemblée et écoutèrent attentivement ce qui se disait. Le constat d’échec relevé par les légats pontificaux était au cœur du débat.

« Nous n’avons rien ou presque rien gagné par nos prédications auprès des hérétiques ! » déplorèrent-ils.

Légats pontificaux

Comment aurait-il pu en être autrement quand au sein même du présent concile, siège l’archevêque de Narbonne, plus réputé par ses mœurs douteuses que par sa piété ? Face à une telle démoralisation ambiante, Diègue ne put se retenir d’intervenir :

« Poursuivons le plan de conversion, mais dorénavant dans le plus complet dénuement. Désormais, plus de luxe ni d’équipage, plus aucun signe extérieur de richesse. Allez avec humilité, agissez et prêchez à l’exemple du pieux Maître, marchant à pied sans or et sans argent, imitant en toutes choses le modèle des Apôtres ».

Diègue d’Osma

Tous se regardaient, hésitaient. Une telle radicalité était nouvelle pour eux. Finalement, ils furent convaincus par la proposition de l’évêque d’Osma, et s’organisèrent pour se délester de tous les biens matériels qu’ils possédaient. Le zèle de Diègue était contagieux, Saint Dominique le premier trépignait de se mettre en route pour annoncer aux hérétiques la sainte parole de Dieu. L’enthousiasme déclina vite quand il fallut joindre l’action aux paroles mais pas du côté de Saint Dominique. Les légats pontificaux préféraient demander au pontife romain si les recommandations de Diègue pouvaient être suivies. La réponse du Saint-Père Innocent III, envoyée de Rome le 17 novembre 1206, à l’attention de Frère Raoul, fut sans équivoque :

« Allez sans retard auprès des hérétiques afin que, par l’exemple de leur action et l’enseignement de leur prédication, ils les rappellent si complètement de l’erreur… qu’ils aient la joie de posséder un jour le royaume des cieux. Imitez la pauvreté du Christ pauvre et abordez les gens méprisés dans un habit méprisé, mais dans l’ardeur de l’Esprit ».

Innocent III

Le groupe de prédicateurs, d’horizons différents, s’étaient déjà mis en mouvement et sillonnèrent la route du Languedoc dans l’espoir pieux de convertir les hérétiques cathares. Ramener les égarés à la vraie foi, certes, mais de quelle manière ? Leur pauvreté apparente n’allait, bien évidemment, pas suffire à emporter l’adhésion de tous ces gens. Il leur fallait un procédé redoutable pour convertir en masse les foules. La controverse était un procédé valable puisqu’elle obligeait les hérétiques à se dévoiler, en plus de les rassembler massivement. Leur route les mena sur les terres de Trencavel, redoutable allié des hérétiques ; pour une première controverse, la région était toute choisie. À l’été 1206, le village de Servian, près de Béziers, fut désigné comme le lieu de la première controverse. Son seigneur, Étienne de Servian, était un irréductible cathare, cachant des hérésiarques un peu partout dans ses châteaux. Le moment tant attendu et redouté du débat arriva enfin. Étienne, le seigneur des lieux, fut désigné comme arbitre du débat, avec l’accord des deux parties. Chacun, ayant peaufiné minutieusement ses arguments, se lança dans le grand bain. Les échanges furent rugueux. Thierry de Nevers, ancien chanoine et archidiacre de son diocèse, insulta la foi en s’exclamant :

« La prostituée – l’Église – m’a longtemps retenu, elle ne m’aura jamais ». Ce à quoi rétorqua Diègue : « Tu es venu dans l’esprit de l’Antéchrist ».

Thierry de Nevers / L’évêque Diègue

La foule, exaltée, ne perdait pas une miette de ces débats qui durèrent huit jours. Le public se rangea du côté des missionnaires catholiques et était à deux doigts de vouloir chasser les hérétiques du village. Le seigneur observait attentivement, sans mot dire. Diègue, Saint Dominique et les siens se retirèrent et quittèrent le village, suivis par un grand nombre de nouveaux convertis, avec le cœur rempli de joie. La victoire fut éphémère, et de petite ampleur, à peine furent-ils à quelques lieues de là, que le seigneur recouvrit toute son autorité. Leurs pérégrinations les amenèrent à Béziers, Carcassonne et Verfeil où ils purent affûter leurs arguments et leur éloquence. Quelques conversions eurent lieu seulement, mais à quel prix ! Ils œuvraient sans relâche aux quatre coins du Languedoc. En avril 1207, Montréal, dans le Lauragais, fut la première ville où s’illustra Saint Dominique. Les cathares avaient pris les devants en conviant les missionnaires catholiques à une controverse. Comme à Servian, le maître des lieux était tout acquis à la cause cathare. Aimery de Montréal était un fervent dualiste, protecteur lui aussi d’hérétiques, tout comme sa mère d’ailleurs, la fameuse Blanche de Laurac.

L’enjeu était de taille car la ville n’en était pas moins importante, les répercussions ne pouvaient être que considérables. Aimery de Montréal, appuyé par quatre juges acquis à la cause cathare, allait mener les débats. Aucun clerc catholique ne figurait parmi les juges, assurant ainsi une inévitable victoire au camp hérétique. Chaque partie avait mobilisé ses plus éminents orateurs. Les débats, qui devaient durer quinze jours, s’illustrèrent par leurs violences oratoires. Saint Dominique frappa de stupeur l’auditoire par son éloquence et sa ferveur si nouvelle. Une centaine de personnes furent tellement touchées par la beauté de sa foi et la rigueur de ses arguments qu’elles se convertirent immédiatement.

La victoire fut si éclatante que les juges refusèrent catégoriquement de rendre leur verdict, trop honteux sûrement de devoir concéder la défaite, et apeurés certainement par les foudres probables du seigneur local. En ce mois d’avril 1207, après un an de périples éprouvants, l’heure était au bilan. Leurs prédications connurent de beaux succès, tout comme quelques échecs aussi, malheureusement. Leur enthousiasme, loin d’être consommé, était en demi-teinte. Un sourire radieux se dessina sur les visages lorsque le légat pontifical, Arnaud Amalric, qui s’était engagé à aller chercher du renfort à l’abbaye de Cîteaux, entra dans la ville, accompagné de trente moines cisterciens. Ce renfort inespéré de moines allait radicalement modifier l’organisation de la prédication. Désormais, plutôt que d’avancer par petits groupes, et de façon isolée, les missionnaires allaient se répandre aux quatre coins du Midi. Dominique fit le choix de rester en Lauragais, au cœur de l’hérésie, où il y avait tant à faire. Les deux légats pontificaux et chefs de la prédication, Arnaud Amalric et Pierre de Castelnau, furent contraints de s’en aller, des obligations les attendaient en d’autres provinces. Le moment était venu de choisir de nouveaux chefs pour diriger et organiser la mission : Diègue d’Osma et frère Raoul furent désignés par les leurs. Tous ces petits groupes de religieux arpentaient, en sandales quelque peu abîmées, les chemins et les villes à travers le Languedoc, vêtus de simples haillons qui ne les différenciaient guère des indigents locaux. Les habitants les accueillaient au mieux avec mépris quand ce n’était pas avec hargne. Nos pauvres prédicateurs, qui mendiaient leur pain quotidien chez l’habitant, peinaient à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Les portes se fermaient les unes derrière les autres. La région était hostile aux représentants de « Babylone », comme les Parfaits se plaisaient à nommer les clercs catholiques. La lassitude, et le sentiment de prêcher une terre perdue à la cause hérétique, commençait à gagner certains religieux arrivés depuis le mois d’avril précédent.

À la fin de l’été 1207, tous les religieux s’en étaient allés en leur abbaye de Cîteaux. Seuls l’évêque Diègue d’Osma et son compère frère Dominique voyaient en cette difficulté un réel défi à relever. Les deux hommes se préparèrent, tels des chevaliers du Christ, à affronter cette population malveillante. En guise d’armes, ils possédaient une conduite exemplaire empreinte d’humilité, une tenue faite de guenilles grossières ne laissant pas de doute quant à leur sincère humilité, les textes les plus sacrés à portée de main comme l’évangile de Saint Matthieu et les Épîtres de Saint Paul, beaucoup utilisés par les cathares, et enfin, une faconde sans pareille. Rien ne pouvait les arrêter ; ils étaient parés à toutes les difficultés. Comme ce jour où, se rendant à une dispute contre les hérétiques, ils se perdirent en route. Contraints, ils demandèrent leur route à un paysan, et celui-ci, aimablement, les accompagna sur une partie du chemin. L’itinéraire choisi par le paysan était une véritable aventure ; très inhospitaliers, les chemins étaient jonchés de broussailles, rendant la marche douloureuse. Les deux religieux, qui se déplaçaient pieds nus, furent rapidement couverts de blessures et de sang. Ils ne se plaignaient pas, et quand ils approchèrent de leur destination, Saint Dominique s’exclama :

« Nous pouvons espérer remporter cette controverse car déjà nos péchés sont lavés dans le sang ».

Saint Dominique

Le paysan, qui était toujours à leurs côtés, se trouva décontenancé face à l’abnégation de ces hommes de Dieu. Confus, il admit non seulement les avoir volontairement trompés mais également d’être un cathare. La conséquence fut à mettre au crédit de frère Saint Dominique et Diègue d’Osma puisque l’homme renia sa foi cathare pour se convertir immédiatement à la foi catholique. Une fois arrivés dans le bourg hérétique, Saint Dominique et Diègue se présentèrent à la dispute et, comme si le Seigneur avait voulu récompenser leur sacrifice, remportèrent les débats sans conteste. Leur victoire momentanée sur l’hérésie ne leur permit cependant pas de s’octroyer un peu de repos. Alors ils marchèrent inlassablement, et toute situation était propice à la prédication.

Texte extrait du livre : le péril cathare


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