Vercingétorix, le héros gaulois.

Certes Vercingétorix, le héros gaulois, ne peut prendre place dans une histoire de notre féodalité laquelle ne prit naissance qu’au Xe siècle, mille ans après les exploits du jeune chef arverne ; mais lui-même représente, au début de notre histoire nationale, une si belle personnification de la chevalerie, que c’est un juste hommage à lui rendre que de retracer les principaux traits de sa généreuse existence au début d’un livre consacré à la féodalité et à la chevalerie. Cette esquisse s’accompagne d’ailleurs d’un fait aussi curieux qu’important. Les traits essentiels de la future féodalité française se trouvent déjà dessinés dans la constitution politique et sociale du peuple gaulois, nos ancêtres, lors de l’entrée de Jules César en Gaule. Non qu’il y ait eu transmission de la France gauloise à la France médiévale : la rupture du IXe siècle entre les deux civilisations a été complète : mais les similitudes entre les forces sociales, les sentiments et les croyances des deux peuples, Gaulois de Vercingétorix, Français de Philippe Auguste et de saint Louis, doivent être soulignées. Et chez nos ancêtres les Gaulois, ce goût des couleurs éclatantes qu’ils exprimaient en leurs émaux, rapproché des splendides verrières de nos cathédrales ; et cette foi en une âme immatérielle, immortelle opposée au matérialisme païen, ce respect quasi religieux de la femme, d’où devait naître notre culte de la Vierge Marie, Notre Dame, patronne du royaume de France. Nulle transmission directe d’une époque à l’autre, mais identité de génie et de sentiments chez les aïeux et leurs descendants.

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    Le Gaulois, l’arverne (auvergnat) Vercingétorix est une des plus rayonnantes personnalités de notre histoire. On l’a comparé à Jeanne d’Arc. Ils sont faits pour se donner la main. À l’époque où ces deux incomparables héros ont déployé, en leur amour de la patrie, leur activité glorieuse, ils avaient le même âge, l’un et l’autre de dix-huit à dix-neuf ans. Conservons ce détail présent à notre pensée. Quand Vercingétorix fut porté à la tête de ses compatriotes pour lutter contre l’invasion romaine il n’avait pas vingt ans. Il appartenait à la plus haute aristocratie de son pays. Son père Celtil avait été brûlé vif. Il fut lui-même proclamé « roi » au mois de janvier 57 (avant Jésus-Christ) en une assemblée nationale présidée par le druide des druides, autorité suprême du clergé gaulois. Grand, élancé, le jeune homme se dresse en une rare beauté. « Son visage paraît lumineux », écrivent les frères Marius-Ary Leblond : des cheveux abondants d’un blond ardent, « une chevelure de lion », des yeux d’un bleu profond où s’affirme la volonté.

    « Les cheveux se déployaient sur le col comme au vent des combats ».

    Le contemporain Florus nous le présente en « une prestance superbe, haut de taille, le regard impérieux et droit. » Il était ferme mais doux de caractère. Les contemporains parlent de son éloquence et de l’action qu’elle avait sur les foules. En face de lui, voyons le proconsul romain Jules César, son adversaire cruel et méchant. César est loin de ses dix-huit ans ; avec son crâne chauve, ses yeux d’aigle rapace dont parle Dante. Ce crâne chauve n’est jamais ceint que d’une couronne d’or. De sa personne, pour reprendre le mot de Montaigne, se dégage l’odeur d’une pestilente ambition. Pour un observateur superficiel, écrit Jacques Madaule, César en 58, lorsqu’il assuma le double commandement de la Cisalpine et de la Narbonnaise (provinces gauloises), n’est qu’un politicien vieilli dans d’obscures et sordides intrigues. Observateurs superficiels au nombre desquels nous avons hâte de nous ranger ; le futur conquérant de la Gaule était vil de caractère. Le moyen qu’il envisageait pour parvenir au pouvoir suprême était de flatter la plèbe romaine, pour mieux dire de l’acheter. Pour l’amuser, il faisait combattre mortellement devant elle en un seul jour 640 gladiateurs. Cicéron dira de lui :

    « Pour tenir sous le joug l’armée et le peuple, il lui fallait des monceaux d’or. »

    La campagne des Gaules, qui changea les destinées de notre patrie, fut pour lui une campagne électorale, le moyen de se procurer l’argent nécessaire à son élévation au pouvoir suprême. Aussi, par ses ordres, le pillage des contrées envahies se fit-il avec une âpreté implacable. Il pillait avec un soin particulier les lieux où la dévotion celtique avait réuni des trésors en hommage à son culte. Avant son départ pour la Gaule, César avait des dettes s’élevant à 1 300 talents qui feraient six millions de nos francs or ; au retour de sa « campagne » non seulement il se libéra des dettes en question, mais déposa dans ses caisses privées, dans son trésor, une somme dépassant 116 millions de nos francs or, après avoir remis au seul Curion, sans parler d’autres politiciens, une valeur de 18 millions de nos francs or pour les associer à ses vues ambitieuses. César livra à des hommes d’argent italiens l’exploitation financière de plusieurs cités gauloises et offrit, par millions, des esclaves – braves gens arrachés à leurs foyers – aux grands de l’Empire. Cette guerre des Gaules aboutit, par l’action de César, à la plus active razzia de malheureux voués à l’esclavage qui ait été faite dans le cours de l’histoire romaine.

    « Avec l’argent de la Gaule, écrit Ferrero, César s’était créé un cortège de secrétaires, d’architectes et autres. Il était devenu le plus grand propriétaire d’esclaves d’Italie. Il avait des écoles de gladiateurs à Capoue. »

    En parallèle considérons le désintéressement de Vercingétorix, son manque d’ambition. En son âme ne palpitait qu’un rêve : l’amour, la liberté de la patrie. Il est remarquable qu’un général en chef de dix-huit à vingt ans se soit montré en sa stratégie d’une prudence avisée. « Je ne me battrai pas en bataille rangée », disait-il. Il appréciait la supériorité manœuvrière de son adversaire, le plus habile capitaine peut-être qui ait jamais paru. Son armée à lui, Vercingétorix, était une armée de caractère féodal, qui ne se pliait pas à des manœuvres d’ensemble sous la direction d’un chef commun. Ainsi Vercingétorix se bornait à la guerre en guérillas, harcelant fragmentairement l’ennemi, s’efforçant de lui barrer les voies de ravitaillement ; et cependant, en l’ardeur de son enthousiasme communiqué aux siens, il lui arriva de remporter sur Jules César à Gergovie (Puy-de-Dôme) une victoire que le vaincu ne lui pardonnera pas. On aime à se représenter le jeune capitaine à la tête de ses hommes. Les frères Marius-Ary Leblond, en leur admirable biographie du jeune héros (Vercingétorix, 2 vol. in-8°, édition Denoël) en donnent l’image :

    « Je ne me battrai pas en bataille rangée

    « La crinière tressée des chevaux est rouge. La chevelure bouclée et poudrée d’or des hommes est rouge, teinte en rouge, pour donner, affirment les auteurs anciens, un air plus terrible à la guerre. Les Romains disaient : « Les Gaulois aux cheveux couleur de sang. »

    Malheureusement, dans la résistance à l’envahisseur, les Celtes étaient divisés. Plusieurs des peuplades de la Gaule, et des plus importantes, les Eduens (Autun), les Rémois, dans le début tout au moins, ne combattirent pas aux côtés de Vercingétorix, mais donnèrent assistance aux Romains ; puis avec l’argent pillé César embaucha nombre de combattants germains, puissamment armés sur leurs lourdes cavales. Après avoir été vaincu par lui à Gergovie César parvint à enfermer Vercingétorix et l’élite de ses hommes sur les hauteurs d’Alésia (Alise-Sainte-Reine, Côte d’Or) où il les encercla d’une muraille mesurant plusieurs mètres de haut. On sait avec quelle noble simplicité et grandeur d’âme le jeune chef, Vercingétorix, en sa vingtième année, vint se livrer entre les mains de son adversaire pour sauver les combattants, ses auxiliaires, de l’affreuse mort par famine. César sans mot dire le fit enchaîner et traîner jusqu’à Rome où il le fit enterrer – c’est le mot qui convient – au fond d’un noir cachot. La noblesse de caractère, la loyauté, la générosité du jeune chef gaulois étaient si marquées que César lui-même, en sa sordide vanité, ne peut s’empêcher de lui rendre hommage au cours de ses fameux commentaires de la guerre des Gaules. La prison où le jeune héros fut enfermé a été décrite par Salluste :

    « En descendant quelques degrés, on entre dans un souterrain large d’environ douze pieds. Entouré de murs épais, voûté d’arcades de pierres massives, le cachot est ténébreux, fétide, lieu d’épouvante. »

    C’est là que Vercingétorix fut enfermé et gardé, avec une alimentation d’esclave, six années durant, six années ! – jusqu’au jour où César crut devoir venir célébrer au Capitole son triomphe. Le voici : Un long, fastueux cortège de hérauts portant les dépouilles des peuples vaincus, trophées de la victoire, l’or des temples dépouillés, suivi de femmes et d’enfants captifs, réduits en esclavage, qui marchent sur deux rangs, enfin Vercingétorix. Hélas ! ceux qui l’avaient vu en la rayonnante beauté de sa jeunesse ne l’auraient pas reconnu, exténué, abîmé par une captivité de six ans au fond d’un trou puant. Or, le jeune héros n’avait pas trente ans, cheveux déjà blanchis, des yeux morts, un front ridé. Il était en haillons : lamentables débris d’une grandeur minée. Devant lui est portée une pancarte où se lisent ces mots :

    Rex Gallorum, le « roi des Gaulois ».