Le Serment de Strasbourg, prononcé en février 842, est un événement fondateur de l'histoire européenne. Plus qu’un simple pacte militaire entre deux frères, il symbolise les prémices de l’unité chrétienne et monarchique face aux défis de l'époque. Cet acte éclaire les tensions dynastiques, culturelles et spirituelles du Moyen Âge, tout en jetant les bases des futurs royaumes de France et d’Allemagne. Pour comprendre pleinement son importance, il est nécessaire d'examiner le contexte, les protagonistes, le contenu du serment et ses répercussions.
Le Serment de Strasbourg s'inscrit dans une période de troubles pour l'Empire carolingien, fondé par Charlemagne en 800. Après la mort de ce grand empereur, l'unité de son vaste territoire fut mise à rude épreuve. Son fils et successeur, Louis le Pieux, tenta de maintenir la cohésion impériale. Mais les tensions internes, aggravées par les ambitions de ses fils, plongèrent l’Empire dans la guerre civile.
Louis le Pieux avait partagé son royaume entre ses héritiers dès son vivant, selon une tradition franque. Mais cette division généra des jalousies : Lothaire, l’aîné, revendiquait une suprématie impériale, tandis que ses frères, Louis le Germanique et Charles le Chauve, refusaient de se soumettre à son autorité. Cette rivalité culmina après la mort de Louis le Pieux en 840, déclenchant une lutte fratricide pour le contrôle de l’Empire.
Parallèlement aux querelles dynastiques, l’Europe carolingienne faisait face à des invasions incessantes. Les Vikings déferlaient sur les côtes atlantiques et remontaient les fleuves ; les Sarrasins menaçaient les régions méditerranéennes, tandis que les Hongrois s'approchaient de l'est. Dans ce contexte de périls externes, la désunion entre les héritiers carolingiens affaiblissait considérablement la chrétienté.
Charles le Chauve, fils cadet de Louis le Pieux, gouvernait les territoires occidentaux correspondant à l’actuelle France. Bien que jeune et encore inexpérimenté en 842, il se révéla un souverain habile, cherchant à consolider son royaume contre les menaces intérieures et extérieures. Son alliance avec son frère Louis le Germanique lors du Serment de Strasbourg marquait un tournant stratégique, renforçant son pouvoir face à leur frère aîné, Lothaire.
Louis le Germanique, maître des terres orientales, est souvent considéré comme le précurseur de l’Allemagne. Souverain pragmatique et attaché aux traditions germaniques, il se méfiait de l'autorité impériale revendiquée par Lothaire. Son engagement au côté de Charles dans le Serment de Strasbourg visait à protéger ses domaines et à affirmer son autonomie.
Lothaire, en tant qu’aîné, portait le titre impérial, mais son ambition de dominer l’ensemble de l’Empire carolingien suscita l’hostilité de ses cadets. Retranché dans les territoires centraux, qui comprenaient l’Italie et la Bourgogne, il espérait rallier les seigneurs à sa cause. Cependant, son arrogance et son incapacité à fédérer ses frères finirent par isoler sa position.
Le 14 février 842, à Strasbourg, Charles le Chauve et Louis le Germanique scellèrent leur alliance contre Lothaire en prononçant un serment solennel. Cet événement marqua les esprits pour plusieurs raisons, notamment l’usage de deux langues différentes lors de la cérémonie. Charles prononça le serment en tudesque, la langue de Louis, tandis que Louis le fit en romane, compréhensible pour les hommes de Charles. Cette double proclamation symbolisait la reconnaissance des identités distinctes mais complémentaires des deux royaumes.
Voici un extrait traduit du serment prononcé par Charles :
« Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien, si mon frère Louis garde le serment qu’il m’a fait, je lui garderai foi et assistance dans tout ce qu’il fera. »
Cet échange de promesses fut suivi d’un serment prêté par les soldats des deux armées, qui jurèrent de ne jamais soutenir Lothaire.
Le Serment de Strasbourg ne fut pas qu’un simple accord politique. Il s’inscrivit dans une vision chrétienne de l'autorité royale, où les souverains agissaient en défenseurs de la foi et du peuple. Ce serment, prononcé « pour l’amour de Dieu », témoigne de la conscience des deux frères de leur devoir spirituel face à la désunion et aux menaces pesant sur la chrétienté.
L’alliance entre Charles et Louis permit de remporter une victoire décisive contre Lothaire à la bataille de Fontenoy en 841, avant même le Serment. Après Strasbourg, cette entente scella définitivement l’échec des ambitions hégémoniques de l’aîné. En 843, le Traité de Verdun consacra le partage de l’Empire en trois royaumes distincts : la Francie occidentale (futur royaume de France), la Francie orientale (futur Saint-Empire romain germanique) et la Lotharingie.
Le Serment de Strasbourg est souvent considéré comme le premier acte fondateur des nations françaises et allemandes. L’usage des langues romane et tudesque lors de la cérémonie soulignait déjà la séparation culturelle entre les territoires occidentaux et orientaux de l’Empire. Ce moment illustre également la capacité des souverains chrétiens à transcender leurs différences pour défendre des intérêts communs.
Dans un monde marqué par les divisions, le Serment de Strasbourg incarne l’idéal d’une monarchie chrétienne unie. Bien que la dynastie carolingienne ait finalement échoué à maintenir l’unité de l’Empire, cet événement rappelle l’importance de la foi et de la loyauté dans l’exercice du pouvoir royal. Comme le soulignait Saint Augustin, « un royaume divisé contre lui-même ne peut subsister ».
Le Serment de Strasbourg transcende son époque par sa portée politique, culturelle et spirituelle. Dans une période marquée par la désunion, cet acte montre la capacité des souverains chrétiens à se rassembler autour de valeurs communes, au service du bien commun. Il incarne la vision d’une Europe fondée sur la foi, la monarchie et le respect des différences culturelles.
En unissant leurs forces, Charles et Louis ont non seulement renforcé leurs royaumes respectifs, mais également jeté les bases d’un ordre politique durable. Ce moment historique reste un rappel que, face aux défis les plus grands, l’unité dans la foi et la justice demeure la clé du salut, pour les rois comme pour leurs peuples.
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