L'ère chrétienne comprend dix-neuf siècles. Sur ces dix-neuf siècles, le Moyen Age féodal et monarchique en comprend dix, plus de la moitié. Qu'a été et qu'a produit cette période de tout un millénaire ? La question est controversée parce que l'Eglise, instituée par Jésus-Christ pour évangéliser le monde, y a joué un grand rôle ; et, par le temps de laïcisation qui court, la justice distributive n'existe guère pour elle. Les uns la bénissent, beaucoup la méconnaissent, quelques-uns même l'insultent. Qu'en faut-il penser ? A-t-elle, oui ou non, converti les barbares, adouci leurs mœurs, sauvé et fait revivre les lettres, les sciences et les arts, fondé le droit des gens, affranchi l'homme, relevé la femme ? Tout cela fut-il l'œuvre du Moyen Age ?
Nous convions tout lecteur sincère à déposer un instant ses préventions, pour examiner froidement avec nous ces questions. Qu'était le monde quand, après trois siècles de persécutions, l'Eglise, sortie des arènes et des catacombes, a pris la direction de la société ? Qu'était-il devenu, mille ans après, au siècle de saint Louis ? Où en étaient les lumières, les mœurs et les libertés ? Voilà, en y ajoutant des réflexions comparatives sur l'œuvre de la Renaissance, de l'ancien régime et de la Révolution, le sujet de ces Etudes. Elles concluent à la grandeur du Moyen Age par le triomphe de l'ordre social chrétien sur l'ordre social païen, du droit public chrétien sur le droit public barbare et romain, favorables au despotisme, à l'esclavage, à l'immoralité.
Un court épilogue sur notre société laïcisée clôt notre travail. De la colline de Saint-Jean, à vingt minutes de Genève, on domine le confluent de l'Arve et du Rhône. Les eaux jaunes et bourbeuses du torrent, les eaux bleues et trans- parentes du fleuve, coulent, sans se mêler, pendant plus d'une demi-lieue, dans le même lit. Une ligne de démarcation bien tranchée sépare, au milieu, ces deux courants dont chacun semble s'attribuer une des rives. Enfin l'Arve a déposé son limon dans son cours ; le Rhône, limpide, l'a purifiée en se l'assimilant et a pris possession du lit tout entier. Lui seul continue en vainqueur sa course à travers les contrées qu'il arrose, jusqu'à ce qu'il verse ses ondes dans la Méditerranée.
En entreprenant ce travail sur le Moyen Age, le souvenir de ce spectacle nous est revenu à la pensée. L'Arve nous est apparue comme le courant de la barbarie issue du paganisme, le Rhône, comme le courant de la civilisation issue du christianisme. Ce dernier lutte longtemps contre le premier, et finit par faire accepter au monde le triple bienfait de la foi chrétienne, des lumières et de la liberté. C'est le tableau des longs et persévérants efforts de l'Eglise pour en arriver là que nous avons essayé de peindre. Avant les recherches de la science historique contemporaine, on ne se doutait pas de ce que la civilisation dût au Moyen Age, grâce à l'Eglise, son éducatrice. La Réforme, les encyclopédistes et la Révolution avaient systématiquement décrié cette époque, en l'accusant d'avoir été hostile à la liberté et aux lumières. On verra ce qu'il en est. Au milieu des contradictions qui divisent l'opinion, nous avons voulu nous rendre compte, par nous-même, de leur valeur. Nous nous sommes misa étudier cette période importante de l'histoire avec un intérêt qui allait croissant à mesure que se faisait la lumière. Ce livre est le résultat et le résumé de nos études. Il n'existe pas d'ouvrage, à la portée de tous, condensant sous un petit volume l'ex- posé des services de tout genre rendus à la civilisation par le Moyen Age. Nous avons essayé de combler cette lacune en lui restituant sa véritable physionomie, inconnue ou méconnue de la foule illettrée. En présence des innombrables préjugés antireligieux nous invoquerons de préférence les autorités qu'on ne peut suspecter de cléricalisme. Nous leur laisserons souvent la parole.
Pour être juste envers le Moyen Age, le lecteur ne doit pas oublier que jusqu'au Xe siècle, son œuvre a été périodiquement ruinée par les invasions barbares, sans compter l'entrave permanente des passions humaines et de l'esprit païen indompté. A partir XIe siècle seulement, le champ est libre. Aussi voyez le magnifique essor de la civilisation et ses progrès jusqu'au XIVe siècle. Elle a marché à pas de géant jusqu'au moment où éclate la guerre de Cent ans, coïncidant avec d'effroyables calamités de tout genre.
Henri Martin lui-même qualifie le XIIe siècle de grand. C'est au XIIIe que l'honnête et savant Littré décernait cette qualification, longtemps avant sa conversion, amenée probablement par l'étude du Moyen Age. Il lui donne même la primauté sur tous les siècles de la France. Mais tous les vrais principes sociaux avaient été déposés par l'Eglise et germaient depuis longtemps dans le monde du Moyen Age avant leur complète éclosion au siècle de saint Louis. « Ce qui fait que l'empire barbare tomba au-dessous de l'empire romain, dit Littré, c'est que l'immixtion violente de populations demi-sauvages fit baisser le niveau du savoir et des idées. Mais cet abaissement trouve un terme parce que les puissances morales qui s'étaient formées dans les derniers temps de l'empire romain demeurent pleines de vie. »
Ces puissances morales, c'étaient l'Eglise, ses évêques et ses moines. « L'Eglise, dit Littré, pleinement constituée, tenait entre ses mains la conduite morale de cette société agitée par une des plus violentes perturbations que mentionne l'histoire. Le moine était son pionnier… Sa tâche était toute morale, et on peut dire qu'il n'était engagé dansles affaires du monde que pour le bien du monde. » Littré subdivise le Moyen Age en deux époques : Celle des invasions ou temps féodaux ; Celle du Moyen Age proprement dit.
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impeccable pour nos jeunes à qui l'éducation nationale supprime des pans entiers de notre histoire.
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