Le mouvement communal et municipal au Moyen Âge

LE MUNICIPE ROMAIN – L’ESCLAVAGE

Pour apprécier les progrès que le moyen âge a fait faire à l’humanité, il est nécessaire de connaître ce qu’était l’humanité lorsqu’a commencé le moyen âge ; pour juger le mouvement communal, il importe de connaître l’organisation du municipe romain. L’édifice social païen avait pour base l’esclavage et pour sommet César. En bas l’esclave sans droit, en haut un pouvoir sans frein, partout la terreur ; car la terreur fut la véritable loi du monde païen. Le maître tremble au milieu de son armée d’esclaves ; le riche ne se fait des clients parmi le peuple, que pour avoir une défense contre le peuple ; et César qui opprime Rome et le monde, redoute la populace qu’il opprime !

Ainsi chacun inspire la terreur et l’éprouve. Chacun a son esclave dont il a peur, et son tyran dont il se fait redouter : double système d’oppression et de terreur.

Telle fut la société païenne.

Choisir son maire au Moyen Âge

Nous retrouvons dans le municipe romain les traits caractéristiques de cette société : l’oppression et l’esclavage. Les magistrats municipaux, en effet, n’ont d’autre mission que de garantir l’intégralité de l’impôt. La charge de curiale n’est point un honneur accordé par le suffrage de tous les citoyens ; c’est une charge imposée par le gouvernement impérial et à laquelle il est impossible de se soustraire. Tout citoyen qui possède vingt-cinq arpents de terre forme l’aristocratie municipale, ou classe des curiales. Cette charge est héréditaire. Les curiales sont tenus de veiller aux besoins de la ville ; et, en cas d’insuffisance des revenus, ils doivent y pourvoir eux-mêmes sur leurs propres biens. Nul curiale ne peut rendre, sans la permission du gouverneur, la propriété qui le rend curiale. Nul ne peut s’absenter du municipe sans autorisation, sous peine de voir ses biens confisqués. Les curiales ne sont que les agents gratuits du despotisme impérial : aucune juridiction effective ne leur est accordée, ils ne font rien qui ne puisse être annulé. Les seules compensations à de telles charges sont l’exemption de la torture, parfois le titre de comte, et enfin une pension pour ceux que la fonction de curiale a ruinés.

C’étaient la de faibles dédommagements ; aussi la charge de curiale était-elle regardée comme le plus grand des malheurs, et on essayait de s’y soustraire par tous les moyens possibles. Mais si les curiales ne trouvaient aucun avantage à exercer les fonctions municipales, le gouvernement, au contraire, y trouvait un moyen certain d’assurer la rentrée des impôts. La classe intermédiaire entre les curiales et les esclaves, classe que les Romains appelaient plebs, comprenait d’une part les petits propriétaires, trop peu riches pour entrer dans la curie, de l’autre les marchands et les artisans libres. Cette classe était peu nombreuse et tendait constamment à se fondre, par en haut dans la curie, par en bas dans la population esclave, véritable base de la société païenne. En parlant de l’esclave, la loi romaine s’exprime ainsi : Non tam vilis quam nullus, « l’esclave n’est pas même vil, il est nul. ›› L’on devenait esclave d’une foule de manières : par la naissance, si l’on appartenait à un père esclave5 ; par la guerre, en vertu du droit des gens6 ; en vertu du droit civil, si l’on ne s’était pas fait porter sur la table du cens7 ; si l’on avait commis un vol manifeste8 ; si l’on était insolvable, si l’on avait encouru certaines condamnations9 ; si, étant affranchi, l’on s’était montré ingrat envers son patron ; etc., etc.

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    En un mot, la société païenne qui ne pouvait vivre sans esclaves, avait élargi les chemins de la servitude et rétréci au contraire ceux de la liberté. L’esclave était exclu de toute participation au droit public et politique, et d’une façon générale on peut affirmer que le droit privé lui était refusé : « Servile caput nullum jus habet, ›› dit Paul. Entre esclaves, il n’y a ni mariage, ni famille, ni parenté, ni paternité. Si les lois mentionnent l’union des esclaves sous le nom de contuberium, le droit ne s’en préoccupe pas : c’est une union de fait comme celle des animaux. L’esclave est entièrement sous la puissance de son maître qui a sur lui droit de vie et de mort.13 Dans le catalogue des Resmancipi, il figure à côté des animaux domestiques14. Si un étranger, par exemple, tue ou blesse un esclave, le maître a le droit de réclamer la plus haute valeur que lui a rapportée l’esclave dans le courant de l’année. Les esclaves fugitifs devaient être remis aux magistrats sous peine d’amende, et une véritable chasse avait même été organisée dans ce but. L’esclave était, pour le Romain, une chose très importante de son patrimoine ; il était soumis à des transactions nombreuses, comme les animaux utiles à la culture. Il y avait des marchés d’esclaves, et des édiles curules s’étaient occupés dans leurs édits de ces sortes de ventes.17 Il fallait, en effet, des magistrats spéciaux pour ces esclaves dont la multitude encombrait les cités et les campagnes et faisait parfois trembler Rome elle-même. C’est au point que lorsqu’il fut question de leur donner un habit particulier, le sénat refusa, de peur qu’ils ne vinssent à se compter. Athènes avait quarante mille esclaves et vingt mille citoyens seulement. À Rome, qui comptait vers la fin de la république un million deux cent mille habitants, il y avait à peine deux mille propriétaires. Or, Rome et Athènes étaient les deux républiques les plus libres de l’Antiquité. Un seul individu avait quelquefois plusieurs milliers d’esclaves à son service.18 On en vit une fois exécuter quatre cents d’une seule maison, en vertu de la loi qui ordonnait que, lorsqu’un citoyen romain était tué chez lui, tous les esclaves qui habitaient sous le même toit fussent mis à mort.19 Sous Auguste, la population de la Gaule pouvait être de neuf ou dix millions et le nombre des hommes libres ne s’élevait guère qu’à cinq-cents mille. Le territoire des Eduens, par exemple, avait cinq à six-cent mille habitants et vingt-cinq mille hommes libres seulement.20 L’on sera curieux, sans doute, de connaître, sur cette grave question de l’esclavage,

    l’opinion des philosophes païens. Nous avons appris par cœur les magnifiques sentences sur la liberté dont ils ont rempli leurs livres, nous avons vu entreprendre au commencement de ce siècle une révolution fondée sur ces mêmes maximes ; cherchons comment ils mettaient en pratique de si admirables conseils.

    « Parmi les hommes, dit Aristote, les uns sont des êtres libres par nature, les autres des créatures pour lesquelles il est utile et juste de vivre dans la servitude ; les esclaves, en effet, ne diffèrent des bêtes qu’en ce qu’ils sentent la raison dans les hommes libres, sans en avoir l’usage pour eux-mêmes. »

    Le sage Caton, l’homme le plus vertueux de l’antiquité, qui céda sa femme à son ami Hortensius, ne craint point de s’exprimer ainsi :

    « Sois bon ménager, vends ton esclave et ton « cheval quand ils sont vieux. ›› Et Sénèque écrit dans son livre De la clémence, « qu’il y a des hommes qui naissent esclaves. ››

    Platon lui-même, ce penseur si sublime, ne soupçonna pas qu’il y eut un mot à dire contre l’esclavage ; il le crut établi de droit divin. Le poète Lucain s’écriait dans un vers célèbre : « Le genre humain est fait pour quelques « hommes ! ›› Voilà tout ce qu’ont fait pour les peuples ces philosophes superbes, qui parlent sans cesse dans leurs écrits des droits et des libertés des hommes. Si nos pères, en effet, n’avaient eu, pour les tirer de l’esclavage, que les déclamations sonores de la philosophie antique, nul doute que nous subirions encore la dure loi du despotisme païen. Mais il suffit de douze pêcheurs de Galilée pour faire, au nom de Jésus-Christ, ce que la sagesse n’avait pu accomplir ; et c’est au sommet du Calvaire que retentit pour la première fois la proclamation des droits de l’homme. Ce jour-là, l’esclavage reçut un coup mortel, les Césars tremblèrent sur leur trône et au fond de leurs temples ; le peuple allait enfin avoir une histoire.