La date précise de la naissance du bon chevalier ne nous est pas connue. Les historiens ne sont pas d’accord à ce sujet. Expilly le fait naître en 1469. Champier, d’après l’épitaphe inscrite sur son tombeau, nous dit qu’il mourut en 1524, à l’âge de quarante-huit ans, ce qui fixerait sa naissance à l’année 1476. Enfin le plus sérieux des biographes modernes, M. de Terrebasse, conclut d’un examen attentif de certains détails des récits du loyal serviteur qu’il faut adopter la date de 1473. Comme, à défaut de certitude absolue, les raisons qu’il invoque nous semblent très probables, nous adopterons son système.
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Hélène Alleman, sa mère, appartenait, nous l’avons dit plus haut, à la noble et ancienne famille des Alleman-Laval. Elle était fille d’Henri, seigneur de Laval, et soeur de Laurent Alleman, évêque de Grenoble et abbé de Saint-Sorlin à Toulouse, prélat aussi distingué par son extrême habileté d’administrateur que par son éminente sainteté. Pierre était l’aîné de huit enfants : quatre fils et autant de filles égayaient le château de Bayard, où le glorieux blessé de Guinegate terminait dans le calme une vie tout entière consacrée au service du roi. L’enfant avait six ans lorsque son père renonça à la carrière des armes. Cependant, comme les seigneurs dauphinois étaient plus habiles à manier l’épée que la plume, le futur chevalier fut confié aux soins de l’évêque son oncle, qui se chargea de son instruction.
C’est à lui que, sans être clerc, Bayard dut d’être assez lettré. En effet, il aimait la lecture et signait fort lisiblement son nom.
Cette éducation première terminée, le jeune Pierre, alors âgé de douze ans, revint au château paternel pour faire sous la direction de son vieux père son apprentissage d’homme d’armes. C’est alors que se manifesta la nature guerrière de celui qui devait être plus tard le plus redoutable champion du roi de France. S’il avait été élève studieux sur les bancs des écoles de Grenoble, il montra bien vite qu’il préférait aux exercices de la grammaire les jeux violents de la course à pied ou à cheval, le maniement des armes, la chasse aux bêtes féroces et les simulacres de combats par lesquels il préludait à ses exploits futurs. Puis le soir, quand il rentrait fatigué au château, il s’asseyait aux pieds de son vieux père autour de l’immense cheminée, et le priait doucement de lui dire quelque histoire de guerre ou de chevalerie. Heureux de retrouver en lui toutes ses anciennes ardeurs, le vieillard lui racontait les exploits des vieux seigneurs dauphinois, les prouesses des Terrail, et les rudes combats qu’il avait livrés dans sa longue carrière. À ces récits, qui mettaient au coeur de Pierre le légitime désir de ne pas déroger à de tels ancêtres, la douce et pieuse Hélène ajoutait des leçons de religion et de morale, et lui lisait, ainsi qu’à toute la famille assemblée, les naïves légendes dans lesquelles la religion s’enveloppait pour se rendre accessible à ces âmes simples et honnêtes.
Faut-il s’étonner qu’avec de telles leçons et de tels exemples le gentil garçonnet, dont le naturel était d’ailleurs excellent, ait acquis ces qualités extraordinaires qui lui mériteront plus tard le surnom de Chevalier sans peur et sans reproche ?
Son père le fit sans peur. À sa mère revient le mérite assurément plus rare de l’avoir fait sans reproche. Pierre avait environ treize ans, lorsque son père, sentant arriver la mort, fit venir ses quatre fils auprès de lui en présence de leur mère, « dame très dévote et toute à Dieu, » et demanda à chacun quel état il désirait embrasser. Pierre, l’aîné, éveillé « comme un émérillon », répondit avec autant d’assurance que s’il eût en cinquante ans :
« Monseigneur mon père, bien que votre amour paternel m’impose l’obligation d’oublier toutes choses pour vous servir sur la fin de votre vie, ce néanmoins, ayant pénétré mon cœur des bons propos que chaque jour vous récitez des nobles hommes du temps passé et ceux de notre propre maison, je serai, s’il vous plaît, de l’état dont vous et vos prédécesseurs avez été ; j’embrasserai la carrière des armes. Car c’est la chose dont j’ai le plus grand désir, et j’espère, avec la grâce de Dieu, ne vous faire point déshonneur. »
Le bon vieillard en fut ému jusqu’aux larmes.
« Mon enfant, lui répondit-il, Dieu t’en donne la grâce. Déjà tu as les traits et la tournure de ton grand père, qui fut en son temps un des plus accomplis chevaliers de la chrétienté. Je tâcherai de te donner les moyens de réaliser ton désir ».
Le second répondit que, désireux de servir son père jusqu’à la fin de ses jours, il ne voulait pas quitter la maison.
« Eh bien, répondit Aymon, Georges mon ami, puisque tu aimes notre foyer, tu demeureras ici à combattre les ours ».
Le troisième, interrogé à son tour, répondit qu’il voulait être comme son oncle monseigneur l’abbé d’Ainay. Son père lui accorda ce qu’il voulait, et l’envoya par un de ses parents à son oncle, qui le fit moine. Depuis, par la protection du bon chevalier son frère, il devint abbé de Josaphat, aux faubourgs de Chartres. Le dernier avait aussi le goût de l’état ecclésiastique ; il fut confié à son oncle l’évêque de Grenoble, qui le fit dans la suite chanoine de l’église Notre-Dame. Bayard ne l’oublia pas. Il le fit nommer abbé, puis évêque de Glandèves en Provence.
« Or laissons les trois autres frères, et retournons à l’histoire du bon Chevalier sans peur et sans reproche, et voyons comment son père entendit à son affaire ».
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