Les idées révolutionnaires à l’épreuve des faits

La Convention à la Révolution française

La Société bibliographique a publié, sous la forme d’un grand placard en couleur destiné à l’affichage, un tableau synoptique qui met bien cela en relief. Ce tableau se compose de trois colonnes. Dans la première sont exposées, article par article, les réformes offertes par Louis XVI dans sa Déclaration royale du 23 juin 1789.

Dans la seconde figurent les articles correspondants de la Déclaration des droits de l’homme. Enfin la troisième colonne indique les lois, décrets, par lesquels la Révolution a violé ses propres théories et toutes les libertés proclamées par le roi. On saisit ainsi, d’un coup d’œil, l’œuvre paternelle et libérale du bon roi et l’œuvre coupable de la Révolution. Nous allons emprunter à ce tableau ce qu’il a de plus saillant. Il a été relevé sur les documents officiels.

Liberté individuelle.

En théorie, la Déclaration des droits de l’homme disait :

Art. IV — La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.
Art. V — La loi n’a droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis.
Art. VII — Nul ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites.

Voyons l’application de ces théories :

Constituante. Décret du 11 juin 1791. — Ordre d’arrêter toutes personnes quelconques sortant du royaume et d’empêcher toute sortie d’effets… et espèces d’or ou d’argent.
Législative. Décret du 11 août 1792. — Obligation de dénoncer tout individu soupçonné d’un délit contre la sûreté générale (c’est-à-dire d’opposition à la Révolution).
Convention. 16 septembre 1793. — Loi des suspects.
On impose les cartes de civisme, les certificats de résidence, les passeports même à l’intérieur. On crée les Comités jacobins de surveillance, c’est-à-dire d’espionnage. Il y avait danger continu, si l’on n’était pas révolutionnaire, à rester en France, à en sortir, à y rentrer, à y voyager.
Directoire. Reprise des lois arbitraires ci-dessus.

Liberté de la presse.

La Déclaration des droits de l’homme porte :

Art. XI — La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement…

Voilà la théorie : voici les faits.

Législative. Août 1792. — Pillage des imprimeries et des bureaux des journaux royalistes. Assassinat du journaliste Suleau et condamnation à mort de du Rosoy, le 25 août 1792.
Convention. Décret des 29 et 31 mars 1793.

– Peine de mort prononcée contre quiconque sera convaincu d’avoir composé ou imprimé des écrits antirévolutionnaires. L’établissement du Tribunal révolutionnaire, la loi des suspects, et celle de prairial an II entraînent la suppression absolue de la liberté de la presse.
– Arrestation des journalistes à l’occasion du 13 vendémiaire.

Directoire. Décret du 16 avril 1796. — Peine de mort contre quiconque demanderait le rétablissement de la royauté ou de la Constitution de 1791.
Arrêté du 18 fructidor an V. — Arrestation de trentedeux journalistes.
Décret du 19 fructidor. — Cinquante-quatre propriétaires, directeurs, auteurs ou collaborateurs de journaux royalistes sont condamnés à la déportation.
Arrêté du 42 frimaire an VII. — Un grand nombre de journalistes sont déportés à l’île d’Oléron.

Liberté des cultes.

La Déclaration des droits de l’homme porte :

Art. X — Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public.

Voilà la théorie ; voici encore l’application.

Constituante. 1790-1791. — La Révolution commence à s’immiscer dans les questions religieuses et à persécuter le clergé en lui imposant une constitution schismatique, et l’obligation de serment schismatique. Les évêques sont chassés de leurs diocèses, les curés de leurs paroisses; des sœurs
de Charité sont indignement fustigées à la porte des églises.

Législative. — Persécutions des municipalités contre le clergé.

16 août 1792. — Le clergé condamné à l’exil.
18 août 1792. — Suppression des congrégations.
Du 2 au 5 septembre. — Massacre des prêtres.
Convention.

– Prêtres déportés assimilés aux émigrés, emprisonnés, condamnés à mort, noyades et fusillades en grand. Déportations sur les pontons infects de Rochefort et de Brouage.
– Suppression et interdiction du culte.
– Fêtes de la déesse Raison.
– Respect de la propriété.

Égalité.

La Déclaration des droits de l’homme porte :

Art. XVII — La propriété est un droit inviolable et sacré ; nul ne pourra en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Ici encore les faits sont la violation de la théorie.

Constituante. 2 et 4 novembre 1789.

— Confiscation des biens ecclésiastiques qui alimentaient le culte, l’instruction publique et l’assistance publique.

Législative. 18 août 1793.

— Confiscation des biens des congrégations, collèges, confréries, corporations et autres associations supprimées.

Convention. 10 mars 1793.

— Confiscation des biens des condamnés à la peine de mort au profit de la République.
28 mars 1793.

— Les biens présents et à venir des émigrés, ou inscrits comme tels, sont acquis à la République.
Les déportés sont assimilés aux émigrés.

La Déclaration des droits de l’homme porte :

Art. 1er. — Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits…
Art. II — Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Voyons comment ces principes ont été appliqués.

Convention. 27 mars 1793.

— Mise hors la loi des aristocrates et des adversaires de la Révolution (c’est-à-dire de ceux qui résistent à l’oppression).
Octobre 1793.

— Aucun ci-devant noble, aucun prêtre ne peut être membre d’une commission scolaire, ni être instituteur. Même exclusion contre les femmes ci-devant nobles, ou religieuses, et les anciennes maîtresses d’école.
Directoire. 17 novembre 1797.

— Sont exclus du corps électoral et des fonctions publiques: 1° les parents des émigrés ; 2° tous ceux qui n’ont pas fait le serment de haine à la royauté. Sont aussi exclus des fonctions publiques tous ceux qui fréquentent les écoles privées, ou qui y envoient leurs enfants.

En résumé, la Révolution qui avait proclamé, en théorie, tous les droits et toutes les libertés proclamées par le roi, les viola tous, tantôt hypocritement, tantôt avec cynisme, par ses arrêtés, ses décrets et ses lois.

IV. — Les crimes de la Révolution.

Portrait de Saint Just - révolutionnaire

Passons maintenant à ses actes, c’est-à-dire à ses crimes. Ils sont la mise en pratique de ce programme que Saint Just fit adopter par la Convention :

« Il faut comprimer la majorité monarchique ou neutre. La république ne sera fondée que le jour où les sans-culottes, seuls représentants de la nation, régneront par droit de conquête, »

Saint Just

c’est-à-dire à force de sang versé. C’est dans ce but qu’on institua le Comité de salut public et les tribunaux révolutionnaires, dont Danton disait : Par eux on a voulu établir la dictature des citoyens les plus dévoués à la liberté. (Lisez : à la Révolution)

Révolution.

Portrait de Danton - révolutionnaire

Les massacres militaires ou juridiques vont commencer. À Bordeaux, huit cent quatre-vingts notables sont
guillotinés avec le maire. Plus de quinze cents personnes encombrent les prisons.

À Marseille, Danton s’écrie :

« Il faut donner une grande leçon à l’aristocratie marchande. Nous devons nous montrer aussi terribles envers les marchands qu’envers les prêtres et les nobles. »

Danton

Là-dessus, douze mille sont proscrits et leurs biens sont mis en vente. La guillotine fonctionne si bien que Fréron, collaborateur de Danton, écrit :

« La commission militaire va un train épouvantable contre les conspirateurs. Ils tombent comme grêle sous le glaive de la loi. »

Fréron

Plusieurs villes vont être le théâtre de destructions et d’incendies épouvantables. Un décret de la Convention ordonne que la ville de Lyon, soulevée, serait détruite. Une armée de soixante sept mille hommes l’investit avec huit batteries ; seize cent soixante-quatorze maisons s’écroulent, trente et un mille victimes périssent, dit L. Prudhomme. La ville de Bédoin est rasée ; seize cents maisons sont détruites. Après la prise de Toulon, soulevée aussi, on employa le canon pour se défaire des royalistes. On y compta quatorze mille trois cents victimes, hommes, femmes, enfants ou vieillards, mitraillés, fusillés, massacrés ou noyés dans la mer en se sauvant. Bonaparte avait présidé à l’extermination. Il écrivit aux représentants cette lettre sauvage :

« Citoyens représentants, c’est du champ de la gloire, marchant dans le sang des traîtres, que je vous annonce avec joie que vos ordres sont exécutés et que la France est vengée. Ni l’âge ni le sexe n’ont été épargnés. Ceux qui avaient été seulement blessés par le canon républicain ont été dépêchés par le glaive de la liberté et les baïonnettes de l’égalité. « Salut aux représentants Robespierre, Lejeune et Fréron.

« Signé : Brutus Bonaparte, citoyen sans-culotte. »
Général Bonaparte

En récompense de son civisme, Bonaparte fut promu au grade de chef de bataillon. L. Prudhomme, le journaliste de la Révolution, ami de Robespierre jeune et qui donne cette lettre 58, recommandait un jour à Bonaparte un jeune homme.

« Est-il terroriste ? demanda Bonaparte.
— Oui.
— À la bonne heure, car il faut des terroristes pour comprimer les royalistes. »

L. Prudhomme, le journaliste de la Révolution

Un autre terroriste, Carrier, à Nantes, disait :

« Pas de jugement, f….-les à l’eau ; c’est bien plus simple. »
— Et il noyait par masses, en attachant hommes et femmes dos à dos. C’est ce qu’on appelait les mariages républicains.
« Nous ferons de la France un cimetière, disait-il encore, plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. »

Dans l’Ouest, ces régénérateurs de la France trouvèrent une résistance courageuse et opiniâtre. Les Bretons, population honnête et laborieuse, fidèle à son roi et à sa foi, étaient décidés à mourir plutôt que de subir l’oppression. Dans leurs combats de géants, comme les appelait Napoléon, il fallut à la République, pendant trois ans, de véritables armées commandées par Hoche et Marceau, sous les ordres de Westermann, pour pourvoir les cimetières de victimes de tout âge et de tout sexe… Prudhomme évalue leur nombre à plus de trois cent mille. Au glaive de la liberté, aux baïonnettes de l’égalité, on ajouta les incendies de la fraternité. Le 1er août 1792, un décret de la Convention ordonna au ministre de la guerre d’envoyer dans la Vendée des matières combustibles de toutes sortes, pour incendier les
bois, les taillis, les guérets ; d’abattre les forêts, de détruire les habitations des rebelles, de couper les récoltes, de saisir les bestiaux.

On trouvera en note au bas de cette page 59 quelques exemples de la férocité des bleus qui mirent la Vendée à feu et à sang : Parce que les Vendéens usèrent de représailles, leurs agresseurs les qualifièrent de brigands. On connaît l’affaire de Quiberon, où neuf cent soixante-quinze prisonniers tombèrent traîtreusement sous les balles républicaines.

Aux massacres de septembre, du 2 au 5, on avait égorgé à Paris treize cent soixante-huit victimes dans les prisons de l’Abbaye, des Carmes, de Vaugirard, à la Conciergerie.